La souffrance, un effet capital

La source des souffrances au travail, c’est avant tout l’organisation capitaliste des entreprises Les suicides de salarié.es de France Télécom interrogent en profondeur le management et l’organisation du travail. Au-delà de la médiatisation, c’est d’abord une question politique.

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La souffrance au travail recouvre diverses réalités vécues par les salarié.es du privé comme du public : harcèlement moral, sexuel, pression du chiffre, déshumanisation des relations, troubles physiques, accidents, maladies professionnelles… Des formes qui peuvent se cumuler.

L’analyse de cette notion doit s’élaborer à travers une grille de lecture radicalement critique de l’organisation capitaliste du travail et de l’offensive permanente menée par la bourgeoisie.

L’individualisation et la segmentation des tâches accroissent les contraintes de productivité. L’objectif réellement poursuivi n’est pas seulement la rationalisation de la production et la recherche du profit, mais bien l’intensification du travail, l’individualisation des statuts, la casse des capacités de résistance collective.

Danger, restructurations !

Les politiques de restructuration précarisantes, l’entretien d’un chômage de masse fragilisent les salarié.es. L’individualisation croissante des rapports sociaux et des tâches isolent les salarié.es face au travail, au patron, la souffrance même. Impossible de lui donner du sens, d’en rendre objectives les causes, de l’inscrire dans un combat collectif. Les salarié.es retournent alors la violence subie contre eux-mêmes.

Les conditions de la vie au travail sont à l’entière discrétion du pouvoir patronal. Le « pouvoir de direction », en terme du droit du travail, devient le pendant du droit de propriété privée des moyens de production : la décision revient au possédant. Les droits des salarié.es sont limités, la réglementation du travail se borne à accompagner les effets des restructurations : les salarié.es sont abandonné.es à leur seule capacité à affronter le stress et la pression. La violence des rapports sociaux de classe est ainsi masquée.

L’organisation du travail est un miroir de l’organisation de la société capitaliste : division sociale, technique et sexuelle du travail, rapports de propriété basés sur l’aliénation et la dépossession des travailleurs-euses, subordination juridique, exploitation et domination économique. Les salarié.es sont exclu.es de tout choix organisationnel.

La souffrance vue comme un risque patronal

La législation traite la souffrance au travail sous l’angle de l’obligation qu’a l’employeur d’évaluer tout risque professionnel auquel il expose ses salarié. es et de mettre en place les mesures de prévention permettant, sinon de les supprimer, du moins de les limiter par des protections adaptées.

Tenu à une obligation de sécurité qualifiée d’obligation de résultat, l’employeur doit envisager l’ensemble des facteurs susceptibles de déclencher souffrance mentale et physique au sein de l’entreprise, d’altérer ou de nuire à la santé et la sécurité. C’est dans ce cadre que se placent le droit de retrait ou la notion de danger grave et imminent.

La responsabilité civile ou pénale de l’employeur est de fait engagée. Mais le recours massif à la soustraitance et la faiblesse des pénalités encourues et des condamnations effectives laissent largement impunie la délinquance patronale.

L’enfermement individuel

Si certains cas de souffrance mentale sont légalement reconnus (harcèlement moral, sexuel, discriminations), ils restent strictement limités à la relation individuelle née du contrat de travail. Les salarié.es sont empêché.es de faire reconnaître la violence subie de façon collective et systémique. L’écart entre les faits subis et ceux reconnus par la justice est considérable, car seule est prise en compte la relation individuelle d’un.e salarié.e déterminé.e à un.e supérieur.e hiérarchique.

L’urgence de l’intervention collective des travailleurs et l’action des organisations syndicales, au premier rang pour constater la maltraitance au travail, sont une priorité. Pas question de moraliser l’organisation du travail salarié qui, moins toxique, resterait malgré tout aux mains des détenteurs des moyens de production. Il s’agit de démonter la logique capitaliste.

La nécessité d’une lutte politique impose de s’interroger sur ce que l’on produit, pour qui, dans quelles conditions. Et surtout qui doit détenir le pouvoir dans le travail, les entreprises et la société. S’appuyer sur les expériences de contrôle ouvrier et d’autogestion est un axe politique majeur.

Les leviers juridiques insuffisants et inégalement répartis se heurtent à l’hostilité des organisations patronales.

Un management harcelant ne dépend pas de la taille de l’entreprise. Certains petits patrons déchargent sur leurs salarié.es la pression subie, sans aucun contrepoids syndical à un pouvoir paternaliste.

Le confinement à l’entreprise

La violence ordinaire des rapports sociaux de travail est socialement et tacitement tolérée parce que confinée à l’entreprise. Elle s’exprime aussi entre collègues, sur fond de mise en concurrence entre salarié.es, dans une ambiance de travail dégradée. Elle accroît l’insécurité sociale de travailleurs-euses déjà confrontés à une politique de précarisation généralisée. C’est en cela qu’elle doit être combattue.

Les idéologues du patronat tentent de restaurer la légitimité du management. Mais les seules actions mises en œuvre sont soit des formations en direction des manageurs, soit des actions d’accompagnement individuelles, genre cellule psychologique. Quant au gouvernement, il en appelle à la négociation entre partenaires sociaux, comme si la santé au travail se négociait.

Le mouvement ouvrier doit s’emparer de ces questions, tant à l’échelle de l’entreprise que de la société, pour faire émerger un autre type de rapports. L’enjeu de cette lutte est redonner aux travailleurs-euses une confiance collective pour s’attaquer à l’essence même du pouvoir patronal. Libérer le travail de l’emprise du capital, c’est poser la question de la place du travail dans l’organisation sociale, aujourd’hui basée sur la hiérarchie, l’exploitation et l’oppression.

Gisèle Felhendler (syndiquée fédération Santé Social) – mai 2012

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