1977 : naissance de Fracture, revue autogestionnaire dans la santé
En mars 1977, paraissait à Paris aux éditions Savelli le premier numéro d’une revue dont le titre, Fracture, et le sous-titre affichaient le programme : Santé, critique-pratique, autogestion. Au fil des numéros, la revue allait tenter de rendre compte de la dynamique autogestionnaire des luttes et des contestations qui mettaient concrètement en cause la « production capitaliste du système de la santé (et de la maladie) » et qui mettaient ses acteurs et actrices en mouvement.
Au sommaire du numéro 1, des articles qui, malgré le temps passé, donnent encore à réfléchir : « Détruire l’asile, l’expérience de Franco Basaglia » ; « Medicina democatica, un mouvement de lutte pour la santé » ; « Une lutte pour la santé à l’usine, la Castellanza (Montedison) » ; « Le pouvoir à l’hôpital » ; « Travail et lutte à l’hôpital » ; « Naître aux Lilas, une maternité pas comme les autres » ; « Médicaments et Sécurité sociale ». Voici l’éditorial de présentation :
Présentation
La santé a été envahie par le capitalisme ; elle est devenue une source de profits énormes. Mais, la croissance rapide des dépenses de santé ne peut masquer ni l’inégalité suivant l’appartenance sociale devant l’accès aux soins, ni les insuffisances du système de distribution de soins. De plus, l’État et le patronat, devant les coûts socio-économiques des dépenses de santé, cherchent à les rationaliser et à les faire supporter par les travailleurs, notamment par les attaques contre la Sécurité sociale.
Toutefois, dans la situation présente, alors que la société réprime, perturbe, vieillit et use prématurément les individus, il n’est pas possible de s’en tenir à la seule lutte pour la démocratisation des structures de santé actuelles et pour l’élargissement de la consommation de soins par les travailleurs. En effet, la « croissance sauvage » du capitalisme a aggravé le caractère nuisible de la société pour la santé des gens. Le mode de vie et l’environnement du monde contemporain font qu’aux accidents et maladies du travail s’ajoutent ce que l’on nomme pudiquement « maladies de civilisation », un mal-être généralisé, qui sont le produit des conditions de travail, de transport, de logement, de la pollution, du caractère monotone, abrutissant et aliénant de la vie quotidienne. Ces conditions d’existence et leurs répercussions nuisibles pour la santé des travailleurs expliquent le développement spectaculaire d’un secteur social et paramédical. On voit comment d’un secteur historiquement charitable (prise en charge des cas sociaux, orphelins, etc.), on est passé à un secteur soupape de sécurité nécessaire à la survie du capitalisme et étroitement soumis à ses exigences idéologiques et de contrôle social.
Par ailleurs, l’élévation continue de la consommation médicale va de pair avec l’accentuation de la « médicalisation » de la société, c’est-à-dire l’extension du pouvoir et des fonctions de la médecine. La médecine capitaliste a pour rôle la réparation et la réintégration au plus vite des travailleurs dans la production ; mais elle fait davantage.
Sa liaison avec les intérêts patronaux apparaît clairement dans l’existence des organismes de médecins-contrôleurs des arrêts de travail, dans le rôle de la médecine du travail. Au-delà, l’accentuation du pouvoir médical condamne le travailleur à une situation d’assisté, d’être dépendant et pris en charge par une autorité extérieure dont il ne peut ni comprendre ni contrôler les décisions le concernant.
Le médecin, le médicament sont présentés et vécus comme recours contre cette société source de multiples maladies, contre la détresse, la misère physique et psychique. Médecine et psychiatrie se présentent comme juges en apparence scientifique du comportement des individus, définissant le « normal » et l’« anormal ». Elles constituent, par le dispositif de contrôle et d’intervention directement sur les lieux de travail et de vie – « à milieu ouvert » – un moyen privilégié de contrôle social. L’idéologie médicale justifie l’ordre existant et ses valeurs. Les privilèges économiques et sociaux du corps médical sont bien le signe de son large concours dans la tâche de maintien et de défense du système.
Mais l’institution se fracture sous l’effet d’une contestation qui trouve son origine à la fois dans l’ensemble de la population et l’intérieur même du système de santé.
De plus en plus, les travailleurs refusent de perdre leur santé physique et psychique dans des conditions de travail insupportables et dangereuses, produites par la course au profit maximum.
Le mouvement des femmes, dans sa lutte pour l’avortement libre et gratuit, a permis la dénonciation sur une large échelle d’une médecine inadaptée aux besoins les plus fondamentaux et enfermée dans une morale dépassée. De plus, cette lutte a montré la possibilité d’une autre pratique de la santé, qui tende au maximum à une prise en charge collective des soins et des problèmes de santé en général.
L’action urbaine et écologique a conduit à lutter contre les facteurs de nocivité de la société actuelle et à intégrer la question de la santé. De façon plus générale, on assiste à une politisation de la médecine, signifiant luttes d’« usagers » comme de travailleurs de la santé, pour une remise en cause de l’institution (tant dans son rôle que dans la conception de l’acte médical), luttes de critique de la norme et de la déviance, luttes pour la définition de la santé vers l’autogestion de la santé.
Malgré l’idéologie du dévouement et de charité envers les malades, les travailleurs hospitaliers remettent en cause fondamentalement l’organisation du système de santé par les expériences de grève administrative, de contrôle des urgences et des examens prescrits, de remise en cause de la hiérarchie et de la division du travail.
Parmi les travailleurs sociaux, on assiste depuis 1968 à un développement des luttes : définition en tant que travailleur, luttes revendicatives (conditions de travail, etc.) et luttes idéologiques remettant en cause la nature de leur travail (fonction de relais des valeurs dominantes et de répression des conduites dites « asociales »).
Le corps médical a été pour la première fois sérieusement ébranlé par ces luttes et par la crise des valeurs sociales qu’il a pour mission de défendre. Des médecins ont commencé à remettre en cause le rôle idéologique et institutionnel de la corporation, à réfléchir et à tenter de mettre en œuvre une nouvelle pratique de la médecine. Ce mouvement de remise en cause s’est manifesté particulièrement dans la lutte contre l’Ordre des médecins.
Illustrer la fracture dans le domaine de la santé et les luttes qui s’y mènent en un même lieu (la revue) est notre premier but pour nous travailleurs, travailleurs hospitaliers, travailleurs sociaux, médecins, syndicalistes CFDT et de la confédération syndicale du cadre de vie, militants des organisations de médecins contestataires.
Ces luttes (au plan international) dégagent une aspiration au contrôle et à l’autogestion de la santé. De même, les travailleurs de la santé et les travailleurs sociaux s’engagent dans une critique-pratique de leur fonction.
Notre revue veut être une revue ouverte, un moyen de débat et d’information sur toutes ces luttes et une aide pour leur développement. En favorisant l’échange d’expériences, l’enrichissement réciproque et la convergence de luttes aujourd’hui encore éclatées, nous essayons de tracer la perspective d’un mouvement de critique anticapitaliste du système de santé actuel, développant par son action la revendication d’un nouveau droit à la santé pour les travailleurs. Cet objectif se situe dans le cadre plus large d’apparition dans les dernières années de mouvements contestant l’organisation sociale actuelle.
C’est pourquoi notre revue se situe dans la perspective de l’autogestion socialiste qui permettra la gestion directe des travailleurs à tous les domaines de la vie sociale, évitant ainsi le règne des spécialistes tous puissants, comme c’est le cas aujourd’hui.
Association pour l’Autogestion, septembre 2012
Article très intéressant et qui en effet tout à fait d’actualité, il est d’urgence de soustraire notre système de santé au grand capital qui ne cesse de vouloir en faire une activité rentable et profitable comme une autre au détriment des patient(e)s (souvent précaire) et de vouloir en tirer un maximum de bénéfice. Face à ce problème l’autogestion doit être sans doute la meilleure solution, car c’est le personnel soignant qui sait le mieux ce qui pourrait être le mieux pour les patients(e)